Puisque j'ai mis ma lèvre...
(à Juliette Drouet)
- Victor Hugo
Puisque
j'ai mis ma lèvre à ta coupe encore pleine
Puisque j'ai dans tes mains posé mon front pâli
Puisque j'ai respiré parfois la douce haleine
De ton âme, parfum dans l'ombre enseveli;
Puisqu'il
me fût donné de t'entendre me dire
Les mots où se répand le coeur mystérieux
Puisque j'ai vu pleurer, puisque j'ai vu sourire
Ta bouche sur ma bouche et tes yeux sur mes yeux;
Puisque
j'ai vu briller sur ma tête ravie
Un rayon de ton astre, hélas! voilé toujours
Puisque j'ai vu tomber dans l'onde de ma vie
Une feuille de rose arrachée à tes jours.
Je
puis maintenant dire aux rapides années
Passez, passez toujours, je n'ai plus à vieillir,
Allez-vous-en avec vos fleurs toutes fânées,
J'ai dans l'âme une fleur que nul ne peut cueillir.
Votre
aille en le heurtant ne fera rien répandre
Du vase où je m'abreuve et que j'ai bien rempli;
Mon âme a plus du feu que vous n'avez de cendre
Mon coeur a plus d'amour que vous n'avez d'oubli
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